mardi 30 août 2011

"La complainte de Nini"

C'est la chanson d' Nini-P'tit-Cœur Qu'avait jamais connu sa mère Les gens disaient: "C'est pas un grand malheur Vu qu' sa mèr' savait mêm' pas l'nom du père" Nini-P'tit-Cœur, on l'appelait Sa vie, ell' s' la gagnait tout' seule: Pour fair' le métier qu'ell' faisait Fallait pas qu'ell' soye trop bégueule Au cirque Fernando, le soir Ell' s' démontait comme une pendule Ell' se pliait comme un mouchoir En se déboîtant les rotules Refrain: Applaudissez! Lancez des fleurs! Ell' connaît pas d'aut' joie sur terre: Dites-y qu'elle est bell' comme un cœur Criez bravo, gens du parterre! Allez-y, demandez-y un bis, C'est pas ça qui la rendra triste; Son seul bonheur, avant d' sortir, C'est d' faire encore un tour de piste! Pour finir, ell' se renversait La tête entre les omoplates Ell' s' roulait en boule, comme un jouet, Le cou entre ses petites pattes: Le clou du numéro, c'était. Son tout p'tit coeur, fait pour l'amour, C'était alors qu'il s'emballait... Les gens en red'mandaient toujours Pendant qu' les gonzes applaudissaient, Qu'elle tourbillonnait comme un' plume, Me d'mandez pas ce qu'y r'gardaient Par tous les trous de son costume Refrain Pour famille, voilà c' qu'elle avait: Herculo, l'homme-le-plus-fort-du-monde Enfin quoi, l'homme, faut l' dir' vit' fait, Je m' comprends; on vit dans un drôl' de monde Arzimbaldo, le Mystérieux, S'était intitulé son père Il lui apprenait à jouer l'jeu D'une main d' fer dans un gant d' pierre Rosa la Rosse, qu'on appelait Sa marâtre (comm' qu'on dit dans les contes) Tout c' qu'elle avait comm' flexibilité, Ell' le mettait dans la tenue des comptes Refrain Et Herculo, le gros costaud, (Qu'avait un talent pas banal: On lui tirait dans l'bas du dos: Aussi sec, y r'crachait la balle) Cet Herculo, qu'est-ce que j' disais? Comm' qui dirait, c'tait sa marraine Il lui laçait, bien bien serré, Son p'tit corset, avant qu'elle entre en scène Son p'tit tutu, il l' lui r'passait Et aussi les rubans de ses jarr'tières C'est lui aussi, qui lui r'prisait Ses p'tits chaussons, sans fair' la fière Refrain Dans la grand' famille de la sciure Elle avait des sœurs et des frères; Didon, la fill' d' Madame Arthur (La femme à barbe): elle était écuyère Sur Dondon, la ponette, perchée, Didon, sapée en bayadère Sautait si haut, qu'on s' demandait Si ell' allait r'descend' sur terre L'une l'aut', ell's se réconfortaient Comme ell's pouvaient, les deux pauvrettes; Mais ça n'allait jamais chercher Bien loin: Didon, elle était muette. Refrain Arthur, le nain du Mozambique, Connaissait des tours jamais vus Rapportés du fin fond d' l'Afrique; Vu sa taille, il aurait bien pu Passer (ça, c'eût été comique) Plus ou moins, pour son petit frère Sans un certain détail anatomique Qui lui valait son surnom: "La Caf'tière" Alecto, lanceuzzz' de couteaux, Avait élu Herculo pour part'naire; Rien qu'en bandant ses biscotos, Y f'sait r'bondir tous les couteaux par terre. Refrain Un drame affreux, un triste soir, Vint endeuiller le petit cirque: Un cri! La troup' se précipit' pour voir, Poussée par un pressentiment tragique! Occupant tout l'espace fort exigu Qui à Nini servait à l'ordinaire De loge, Herculo ne respirait plus: Du sang coulait encor' d' sa jugulaire! Entre coiffeuse et cadavre, Nini, Coincée, roulée en boul' comme un chiffon, Gisait, inerte et comme évanouie, Mais l' sang qui la couvrait en disait long! Refrain Arrivent les Chevaliers du Guet, Comm' toujours quand qu'y a du grabuge; La Nini-P'tit-Cœur, ils l'ont alpaguée, Et la voilà devant les juges! "Vous feriez bien de tout avouer, "Fille perdue!" (ell' restait muette); "Ca c'est un dram' de la lubricité, "Pour moins que ça, on prend perpette!" Toute la troupe vint témoigner, Accumulant détails contradictoires, Le procureur, buvant du petit-lait, Déjà faisait entendre un chant d' victoire. La fille Arthur, Didon de son prénom, Etait citée comm' témoin favorable; Mais ell' ne put articuler un son; C' qui produisit un effet déplorable. Refrain Alecto, toute pâle et toute en noir, Fit un' déposition on n' peut plus claire: Si évident était son désespoir, Qu'il fit mêm' sangloter un commissaire. Le jury, dûment composé De six bouchers et trois clercs de notaire Rendit très tard dans la soirée Des conclusions qu'on peut trouver sévères: A l'abbaye qu'on dit de Monte-A-Regret, Voilà où qu'ils envoyaient la petite; Mais l'aventure n'était pas terminée, Comm' vous allez bien le voir par la suite. Refrain Mais qu'entend-on au cœur de la nuit noir', A l'heure où Charlot astiqu' sa bascule? C'est un quart-d'œil qui crie son désespoir! C'est la stupeur dans l'austère cellule! C'est au grand dam de l'Administration Qu'au p'tit matin s'étale dans les gazettes La plus troublante de tout's les évasions De tout' l'histoir' de la Petite Roquette. Un argousin - mal lui en prit - Osa parler de bruits de galopade; Et prétendit avoir - c'est ce qu'il dit - D'un poney entendu l'aubade. Refrain "A moins d'se plier comme un mouchoir, "De se déboîter les rotules, "Personne n'eût pu, c'est sans espoir, "Se faufiler - l'idée est ridicule! - "Entre les épais barreaux noirs! "C'est sûr'ment la faute aux matons: "Ils ont manqué là à tous leurs devoirs! "Il faudra bien leur en d'mander raison! "Aucun être humain, non, jamais, "N'eût pu s'évader d' cett' cellule: "Il faut qu'il y eût eu des complicités, "Ca va barder pour certains matricules!" Les spécialistes assermentés Et appointés par la Pénitentiaire Ont énoncé ça sans ambiguïté: Pour eux l'affaire était parfait'ment claire. Refrain De Nini-P'tit-Cœur jamais on n' revit Un seul ruban, ni un' seul' fanfreluche… Bien loin d'ici, elle a dû r'fair' sa vie, Ell' r'viendra pas, à quoi bon fair' l'autruche? Et la ponette? Et la petite Didon? Elles ont calté sans laisser leur adresse. Madame Arthur répond ni oui ni non Quand on veut la fair' passer à confesse. Arthur consent à donner son avis Si pour ce fair' on lui offre une anisette: A l'écouter, ce s'rait la jalousie, Qui à Alecto s'rait montée à la tête. Refrain A Rosa, on peut rien d'mander, Ell' répondra ni quoi ni qu'est-ce: Depuis longtemps ell' sentait l' vent tourner, Elle est partie avec la caisse. La cirrhose, cet hideux fléau, A moins qu' ce soit un délirium très mince, A eu bientôt raison d'Arzimbaldo. Ceux qu'on dit qu'Alecto était jalmince, P't'êt' bien qu'ils avaient pas tort, après tout, Car un matin, pas loin de la Barrière, De l'eau d'la Seine elle a bu un grand coup, Qui a mis fin à sa vie de misère… Final: C'est la chanson d' Nini-P'tit-Cœur Qu'a goûté tout's les joies d' la vie d'artiste, Et qui ailleurs a trouvé son bonheur: Applaudissez son dernier tour de piste!

Texte par Kohakugawa

Ce texte est le merveilleux adeau que j'ai reçu ce matin dans mes MP sur Matériel Celeste, c'est une vraie merveille, on s'y croirait! Je suis très émue et touchée par cette chanson qui colle à la perfection avec Nini. Du coup j'ai eu besoin de prendre des photos pour "illustrer" le texte de MONSIEUR Kohakugawa qui m'a fait là un très grand plaisir. Merci mille fois!